"Diriger en terre inconnue"

Olivier SAINT-CRICQ Directeur Général de Telma® a participé, en 2010, au MBO qui a conduit au rachat des activités Telma au groupe Valeo. Il a accepté de partager avec ENAXION son expérience de dirigeant d’entreprise de taille moyenne ayant des implantations mondiales confronté à un contexte de crise de la Covid 19. Il nous livre ici un regard et des enseignements personnels qu’il nous semble intéressant de partager à notre tour avec tous les dirigeants en action

La Covid 19 un test de résilience de l’entreprise 

Olivier : Dans mon rôle de dirigeant et de par ma nature je recherche en permanence des marges de manœuvre pour l’entreprise pour ne pas me trouver coincer dans des alternatives binaires. A cet égard face à la période actuelle il a fallu s’adapter. Sécuriser le cash et réduire la voilure en terme d’intérimaires pour continuer à avancer et mettre en place des plans d’action dans un esprit d’amélioration continue comme nous en avons l’habitude. La cohésion des équipes n’a pas été fragilisée par ces mesures d’adaptation, elle en est plutôt sortie renforcée. Nous ne nous sommes pas confinés totalement et nous avons mis en place du télétravail lorsque que cela était possible mais sans exagération pour tenir compte du vécu plus ou moins positif des uns et des autres et pour maintenir le lien social indispensable à la vie de l’entreprise.

Une opportunité de recentrage européen…

Olivier : Nous n’avons pas à proprement parlé fondamentalement défini un nouveau cap mais nous avons dû reconsidérer nos plans d’action marketing et commerciaux mais également nos approvisionnements en raison de l’impossibilité de voyager. Je pense profondément que le monde n’est qu’au début d’un changement très important. Nous sommes d’une candeur absolue face à cette crise. Pour moi cela s’apparente à une maison qui aurait reçu une grosse bombe. La structure va-t-elle tenir ? je n’en suis pas sûr alors j’influence mon équipe pour nous recentrer en Europe pour gagner en maitrise et solidifier nos activités. On ne peut pas avoir des fournisseurs chinois ou monter une usine « en visio » sans aller sur place pour se rendre compte et comprendre. La conséquence de ce recentrage c’est que les prix vont augmenter. Il faut nous y préparer et ne rien lâcher pour répercuter à nos clients les conséquences des baisses de volume. Nous nous y employons.

…et la mise en œuvre de nouveaux comportements

Olivier : La crise nous a obligé à travailler à distance et à notamment multiplier les réunions en visioconférence. Cela a été l’occasion pour moi de découvrir la pertinence d’organiser des visioconférences où certains collaborateurs deviennent beaucoup plus à l’aise à distance que dans nos réunions physiques. J’y ai donc recours plus souvent pour des réunions de présentation mais en revanche pour les réunions  de réflexions et de prise de décisions importantes en petit comité rien ne remplace à mes yeux la qualité d’un échange direct.  On aurait pu craindre que cette crise nous éloigne les uns des autres mais en fait nous avons instauré des rituels d’échange hebdomadaires avec nos sites distants aux USA ou en Inde et je constate que cela a au contraire renforcé les liens et la convivialité entre nous. Cela a crée une cohésion plus forte et je considère que c’est un effet positif de cette crise.    

« regarder loin et large »

Olivier : A la réflexion cette crise m’a conduit à être moins dans l’intervention. J’ai cette possibilité car j’ai ces dernières années augmenté le niveau de l’équipe qui m’entoure et cela m’a obligé aussi à élever mon niveau de jeu. Mon rôle essentiel a changé. J’écoute, je suis plus en retrait, j’observe les équipes et je n’interviens pour challenger les idées que lorsqu’il me semble qu’ils passent à côté de quelque chose d’important ou bien qu’ils perdent de vue les intérêts de la société ou s’éloignent de la stratégie définie. Le dirigeant dans un moment comme celui-là doit prendre encore plus de hauteur et regarder encore plus loin et plus large et mettre en œuvre les outils et les exigences nécessaires pour aller plus loin dans l’anticipation.

Ne pas s’arrêter et préparer les mutations du secteur

Olivier : Notre plus grand défi n’a pas été de passer la crise Covid. Nous y étions préparés et nous avions déjà vécu en 2008 un ralentissement fort de l’activité. Nous avons d’ailleurs très peu eu recours au chômage partiel, j’ai préféré avoir des gens au travail pour continuer à avancer. La crise nous a en fait conduit à nous améliorer et à traiter des sujets laissés de côté en temps normal. Nous avons ainsi pu faire du nettoyage approfondi et améliorer des procédures entre autres.

Non, en fait notre plus grand défi reste l’adaptation aux évolutions du marché. Nous sommes sur un secteur, celui du transport, en pleine mutation. Une page se réécrit avec une vraie accélération sur de nouveaux enjeux liés aux véhicules électriques et hydrogènes. A cet égard, nous avons pu rencontrer durant la crise au cours de webinaires ou de visioconférences, davantage d’acteurs politiques devenus plus disponibles, pour élever leur niveau de compréhension des défis posés par exemple par la multiplication des normes européennes qui risquent de balayer nombre de PME qui n’ont pas les moyens financiers de s’adapter.

« Bien n’est pas suffisant »

Olivier : A ce jour et au-delà des fondamentaux de mon action de dirigeant je n’ai pas une vision claire de ce que nous ferons des expériences positives vécues durant la crise. Pour moi ce qui reste primordial c’est que quand on décide de faire quelque chose il faut le faire à fond. Sinon je ne le fais pas. C’est une croyance profonde, une devise dans ma vie. Il en va de même de l’exemplarité du dirigeant. Cela peut paraître un peu extrême mais notre culture d’entreprise est régie par ces principes. Excellence, Efficience, Exemplarité, Leadership. « Bien n’est pas suffisant », nous devons toujours faire le maximum pour être et demeurer leader de notre secteur en l’ayant mérité. A cet égard l’amélioration de l’efficience est primordiale, c’est ce qui nous a renforcé. Cette contrainte nous a rendu plus fort dans la situation présente et doit être poursuivie notamment dans la sécurisation de sources d’approvisionnement pérennes.

Orages à l’horizon

Olivier :   J’ai confiance pour le court terme, les trois prochains mois. Si je porte mon regard plus loin je suis moins confiant. Pas spécifiquement pour la société, mon propos concerne davantage la situation générale. Je vois cette crise dans une dimension géopolitique et à ce titre le risque de conflits chauds me paraît possible. Les acteurs avancent chacun leurs pions et je suis inquiet pour la suite. Il y a encore beaucoup d’angélisme dans la société française, un décalage de vision par rapport à la réalité que nous vivons. Mais selon moi, il faut sans doute que ça fasse mal et après on repart. Le regard que je porte est sans angélisme et sans candeur mais il y aura du positif qui sortira de cela. J’ai une grande confiance dans notre capacité nous peuples européens à sortir de cela par le haut. 

telma officiel

Telma est une entreprise française spécialisée dans la conception et réalisation de ralentisseurs électromagnétiques à destination de véhicules lourds (camions, autobus et autocars). Leader mondial, la production s'effectue, en France, au siège de Saint-Ouen-l'Aumône. Une unité a été mise en service en 2005 à Shangaï, à destination du marché chinois. Telma consolide un chiffre d’affaires de plus de 50 M€, fabrique plus de 32 000 ralentisseurs par an, elle emploie près de 265 collaborateurs et est active sur 5 continents.