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Hervé Montjotin, CEO du groupe Socotec , a accepté de partager son expérience de dirigeant confronté à la crise de la Covid 19.

Depuis 70 ans, le groupe SOCOTEC a bâti sa réputation en tant qu’acteur tiers de confiance pour devenir n°1 du contrôle construction en France et acteur majeur des TIC (Testing, Inspection, Certification) dans les secteurs de la Construction et des Infrastructures en Europe.

Chiffres clés : CA 900M€ en 2019 (45% hors de France), 200 000 clients, 23 pays, 9 000 collaborateurs

Une démonstration des vertus de la stratégie

La pertinence de nos focus stratégiques s’est fortement ancrée en interne. Depuis mon arrivée il y a quatre ans, je soulignais l’importance de développer l’activité géographiquement : la part de l’international est passée de 10 % à 45% du CA. Nous sommes allés très vite avec plus de 24 acquisitions la plupart à l’international. Lors du premier confinement ce nouvel équilibre géographique a été très protecteur car il y a eu un décrochage massif de l’activité en France avec 90% de chantiers à l’arrêt au mois de mars 2020 !

Notre autre focus, sur les infrastructures et les métiers d’exploitation, s’est confirmé et même amplifié.  Nous avons aussi bien passé la crise grâce au rebond de ces métiers qui apportent de la récurrence par rapport aux chantiers. Dans ces métiers qui sont des « people business » c’est même allé au-delà de mon intuition, car la différence se fait vraiment lorsque votre équipe va plus vite que les autres. Cela a renforcé notre ambition et nous avons décanté plus vite cet axe en affinant notre positionnement.

Un mode commando et une grande fierté en interne

J’ai été présent au bureau durant toute la période du premier confinement et l‘équipe de tête aussi. Nous avons eu deux premières semaines de sidération. Ensuite l’action amène une forme d’optimisme et le choix du mode « commando » pour l’équipe de tête a payé. Il a beaucoup soudé l’équipe qui a franchi des paliers et pris une dimension plus holistique. Chacun est sorti de son « couloir ». La valeur de certains a été davantage révélée en situation, et la force de l’équipe a été mise en lumière.

Il y avait un côté presque churchillien dans nos prises de parole en visio-conférence auprès des 250 managers au printemps 2020. On a beaucoup parlé de transformation et d’exigence. Dans une période qui est très anxiogène, il y a une demande de cadre et de réassurance qui va bien au-delà du rapport classique à l’entreprise.

J’ai aussi été bluffé par la réaction de nos 250 patrons d’agence et par ce que les équipes ont été capables de faire. Les équipes elles-mêmes ne se sentaient pas forcément capables de faire tout cela. J’ai eu des remontées nombreuses et d’un registre émotionnel avec une grande fierté des salariés de voir ce qui a été accompli en si peu de temps. D’un point de vue managérial, nous sommes passés du discours à la matérialisation concrète de tout le travail entrepris depuis quelques années sur la transformation de l’état d’esprit et des pratiques.

La période a aussi eu un bénéfice plus spécifique. En effet, nous avons été très concentrés sur la gestion du cash, et pour une entreprise sous LBO c’est un sujet sensible. Nous sommes ainsi passés d’une culture du P&L assez peu déployée à une culture de gestion du cash. Sur les outils de pilotage et l’alignement du management sur cet enjeu, nous avons fait un saut quantique en 6 mois.

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Les difficultés rencontrées et la mise en lumière de ce qui anime le dirigeant

 Je dirige Socotec depuis 4 ans, et je consacre beaucoup de temps et d’énergie à donner le sens: j’aime cela. Les modalités de la période m’ont en partie frustré : ne pas pouvoir voyager à l’étranger, être peu au contact des équipes. Et à l’inverse devoir être en visio-conférence, alors que plus que jamais il y avait un besoin de sens et de cap incarné.

Chaque dirigeant a une dimension personnelle qui lui est propre. Intellectuellement je suis construit autour du verbe, et mon métier c’est de maitriser les chiffres. Mais ma différence, c’est la compréhension des Hommes et des organisations ; et je sais bien capter les signaux faibles. Là avec le distanciel je suis embêté ! En dehors de mon équipe de direction, on m’avait un peu coupé mes capteurs.

En réalité j’ai découvert que le verbe, ma capacité à « raconter les histoires », je la censurais en partie dans ma sphère professionnelle. Durant cette période tous les vendredis j’ai installé une visio-conférence sur la partie France, avec une centaine de managers. Je préparais assez peu, un quart d’heure avant, et cela sortait naturellement, avec beaucoup plus d’émotionnel que d’habitude. Il s’est passé un truc fort pour les équipes et pour moi, j’ai eu beaucoup de témoignages sur le côté impactant de ces visio-conférences. J’étais profondément moi-même, plus ouvert, avec des choses que je n’aurais jamais partagées dans un cadre normal avec plus de verticalité. Le filtre de la distance et des écrans favorise probablement l’ouverture à ce registre. C’était en phase avec cette période particulière et ça a marqué les gens.

Un leadership qui s’exerce différemment et qui évolue

Dans un « people business » comme le nôtre les leaders doivent envoyer de l’énergie, les équipes en ont besoin. Mais ils ont besoin d’en recevoir eux-mêmes et de sentir cette énergie qui circule. En distanciel, tout cela est complexe et fatiguant. Mais nous avons aussi constaté que l’impact est très important quand ça marche. Le deuxième confinement fut différent de ce point de vue. Il a permis aux équipes d’être plus présentes car les enfants étaient à l’école et nous nous étions habitués aux réunions en distanciel. La circulation de l’énergie fut ainsi meilleure. Fondamentalement, je ne crois pas à un pilotage important à distance car cela génère de la perte d’intelligence collective et une diminution de l’engagement spontané.

Sur le plan collectif, la grande évolution c’est l’intelligence collective qui a été vécue, bien au-delà d’un fonctionnement en mode réseau. Il y a eu quelque chose de beaucoup plus authentiquement collectif. Cela a été vécu comme tel par l’équipe de tête, et cela a été aussi perçu comme tel en interne. L’enjeu est aujourd’hui d’arriver à le garder en l’adaptant à un fonctionnement moins atypique.

Garder le mouvement en conservant sa lucidité

Garder le mouvement, voire l’amplifier sur les sujets en cours est clé, pour décider sans tarder. Le pire des dangers c’est l’incertitude associée à la peur car c’est ce qui amène le ralentissement et le repli sur soi.

Et il faut aussi garder la lucidité pour ne pas engager trop de nouveaux projets car les moyens financiers et la visibilité restent limités : choisir les bons projets, décider là où on met notre capex et notre énergie. Et il y a probablement des changements d’affectation à réaliser. Cette période nous pousse à nous centrer sur l’essentiel. Être dans une logique de frugalité et renoncer à l’hyper sophistication a des vertus.

Nous sommes devenus plus discriminants dans le domaine IT par exemple, et dans notre déploiement géographique : savoir renoncer à l’ouverture de certains pays alors que je tenais beaucoup à ces projets.

Même si on s’en serait bien passé, tout ce que nous vivons depuis mars dernier a eu des grandes vertus pour l’entreprise. C’est une sorte « d’Acid test » qui nous a permis de voir que nous étions résistants et résilients, et ceci nous a renforcé : « never let a good crisis go to waste » !