Frédéric Dorion dirigeant d’Aladine, leader français du loisir créatif s’est trouvé confronté comme beaucoup de ses pairs à l’impératif du développement international. Il nous a paru intéressant de partager avec vous son témoignage et les solutions qu’il a appliquées aux problèmes de l’internationalisation.

Enaxion : « Frédéric Dorion, parlez-nous d’Aladine »

Aladine est une société créée il y a un peu plus de 20 ans par un passionné de calligraphie. Je la dirige aujourd’hui, après en avoir assuré la direction commerciale.  Aladine développe une activité au croisement de 2 marchés : le jeu et le loisir créatif. Le métier d’Aladine c’est le « Do It Yourself » ou éveil créatif sur le principe simple « un projet, une activité, un résultat ». Il s’agit d’une activité d’apprentissage créatif qui s’adresse en en premier lieu aux enfants.
Le produit phare d’Aladine est historiquement le tampon décoratif. Les gammes de produits se sont ensuite étendues à des crayons pour les vitres, la personnalisation de produits textiles, de faire-parts …
Nous sommes positionnés en B2B2C à travers des distributeurs comme Cultura, BHV, Galeries Lafayette, Mr Bricolage, La Fnac, mais Aladine s’adresse également à la distribution spécialisée et indépendante. Aladine c’est aujourd’hui une PME de 22 personnes réalisant 4,2 M€ de chiffre d’affaires.

Enaxion : Vous vous êtes fortement développé à l’étranger, quel poids cela représente-t-il dans votre activité ?

Nous réalisons un chiffre d’affaires à l’export de 2 M€ soit près de 50 % du chiffre d’affaires total. L’international est donc une activité plus qu’importante pour nous. Les produits Aladine sont distribués dans 40 pays dont une dizaine ont un poids vraiment important comme notamment l’Amérique du Nord et des pays d’Europe comme l’Espagne, l’Italie, la Belgique, la Suisse ou l’Allemagne, mais également des pays d’Europe Centrale comme la République Tchèque. Nous portons notre effort actuellement sur le développement dans d’autres pays anglophones comme le Royaume Uni, l’Australie, la Nouvelle Zélande ou encore l’Afrique du Sud.

Enaxion : Quels sont les enjeux critiques pour votre développement ?

Pour nous développer nous devons maitriser trois éléments qui sont au cœur de notre savoir- faire : La créativité et l’innovation en premier lieu, la capacité commerciale ensuite, c’est-à-dire être capable de développer notre chiffre d’affaires dans tous les pays où nous sommes présents et enfin la logistique c’est-à-dire notre capacité à mettre à disposition nos produits à des coûts performants et garantissant la satisfaction de nos clients.

Enaxion : Quels sont selon vous les leviers du succès d‘une stratégie internationale ?

  1. Maitriser la langue

La question de la langue bien sûr est un sujet clé, c’est un vrai défi pour le développement l’international. En interne aujourd’hui nous sommes capables de parler 6 langues mais il ne s’agit pas seulement de savoir parler la langue de votre interlocuteur ou bien l’anglais, le premier impact linguistique est sur le produit à vendre.

Aladine réussit à gérer 13 langues sur un même packaging. C’est en utilisant les images et les codes visuels que nous avons pu contourner ce problème. Nous prenons soin du nom des produits pour qu’ils soient évocateurs dans toutes les langues. Par exemple « stampo » un nom créé de toutes pièces pour notre produit phare alors que les traductions sophistiquées du mot  « tampon » nous conduisaient à des vrais impasses de sens.  Pour cela, chaque nom est testé en amont auprès des distributeurs locaux, les contresens malheureux dans une langue sont ainsi évités !  Et les distributeurs locaux valident tous les textes. Ces choix opérationnels ont un impact très positif sur les coûts de production et la gestion des stocks par exemple.

  1. Tenir compte des aspects culturels

L’aspect culturel est un élément crucial à prendre également en compte au-delà de la langue.

Pour nous la difficulté dès le départ a été finalement de dépasser nos propres croyances limitantes, qui sont sans doute les vraies barrières au développement international. Chez Aladine, nous pensions que « pour aller en Allemagne, il faut être allemand ».

Les différences culturelles entre la France et les 10 destinations majeures de nos produits sont réelles et la complexité est grande pour une petite entreprise comme la nôtre. Nous avons fait l’expérience qu’une fois connus les deux ou trois codes « locaux », la clé est plutôt de passer du temps avec nos interlocuteurs, de nouer des relations personnelles et d’être dans le rapport humain. Pour appréhender les différences culturelles avec la Chine qui nous paraissait un marché inaccessible et inquiétant pour une petite PME, j’ai fait intervenir un expert de la culture chinoise pendant quelques matinées pour connaître les pratiques de base à maitriser comme le fait de pas ouvrir un cadeau devant la personne qui vous l’offre ou de ne pas attendre qu’un chinois dise non car il manquerait alors de respect à son interlocuteur. C’est à dire être un minimum averti et attentif mais très vite se concentrer sur la relation avec l’autre, humblement.

Ma fierté personnelle c’est d’avoir créé de vraies relations avec les distributeurs de chaque pays. J’ai du alors clarifié mes intentions et me suis pris moins au sérieux dans ces échanges : « il s’agit de se faire plaisir avec intelligence, en faisant de la marge ». Il est vrai que nos produits nous aident, il y a une sensibilité forte dans le loisir créatif, cela facilite les relations. Ces produits ont une âme et cela est « universel ».

  1. S’organiser et se doter des capacités pour agir mondialement

Historiquement Aladine a toujours travaillé avec les Etats-Unis ; nous avions aussi des distributeurs dans d’autres pays mais nous ne les pilotions pas vraiment. En France le marché était stable et il n’y avait pas de développement significatif possible. C’est ce qui nous a conduit à une stratégie de développement à l’international.

Nous avons alors à l’époque recruté un responsable export. En 3 ans le Chiffre d’Affaires à l’export est passé de 200 K€ à 1,4 M€ via notre réseau de distributeurs. En deux ans, tous les packaging avaient été revus. Au démarrage aucun salarié ne parlait anglais ; 3 personnes ont été recrutées pour répondre aux clients dans leurs langues natales : Nos distributeurs devaient être traités comme s’ils étaient dans leur pays.

Dans chaque pays où nous entrons, nous organisons immédiatement les aspects bancaires et l’ouverture d’un compte bancaire local pour faciliter les opérations.

Aladine ne fonctionne du reste pas en logique pays mais par zone : la France est un pays de la zone Euro. Pour chaque zone il n’existe qu’un seul tarif, un seul catalogue produits et des conditions générales de vente uniques. Il s’agit là d’éléments qui peuvent apparaître extrêmement triviaux mais qui sont clés pour démarrer sur de bonnes bases à l’étranger.

Il est vrai que sur ce marché, comme sur celui des jouets, il n’y a pas de différenciation locale. Les acteurs sont mondiaux. Nous retrouvons les mêmes produits partout. De plus l’iconographie française plaît universellement ; c’est une grande chance pour les produits Aladine. Il n’y ainsi pas de développement spécifique pour internationaliser nos produits.

  1. Oser l’intuition et le pragmatisme pour progresser

Nous sommes chez Aladine une entreprise très intuitive. L’intuition est à la base de beaucoup de nos initiatives. Dans les trois quarts des cas cela fonctionne. Pour le reste, soit nous rectifions le tir soit nous abandonnons. Nous nous voulons très pragmatiques, on se donne 18 mois pour voir et si nous constatons un succès, on accélère en trois mois. L’important est de repérer rapidement s’il s’agit bien d’un marché adapté à notre modèle où notre risque reste limité c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’investissement industriel nécessaire et de coûts de fabrication importants, y compris des coûts de transport.

A la base de notre réussite il y a bien sûr nos produits mais également le choix des distributeurs. Pour choisir un distributeur nous cherchons quelqu’un qui nous ressemble, nous regardons notre poids potentiel dans son Chiffre d’Affaires, nous lui rendons visite, nous recherchons à « sentir » notre interlocuteur, a-t-il des bureaux ? des entrepôts ? sa situation financière est-elle satisfaisante ? la liste de ses clients ?

Nous avons des critères objectifs mais aussi des critères subjectifs. Le choix d’un distributeur se fait toujours en allant sur place.

Avec nos distributeurs nous travaillons en partenariat. Ils ont une exclusivité la première année puis nous faisons le point. Nous travaillons ensemble dans une logique de  « Test & Learn ».

Encore une fois, il s’agit de casser la barrière mentale de la difficulté, se dire que c’est possible. Je me suis aperçu que dans l’entreprise, il y a beaucoup de fausses excuses : il faut lever les barrières les unes après les autres de façon pragmatique. Et si on n’y arrive pas on arrête.

Être agile, changer son mode d’action quand ça ne fonctionne pas, voilà en fait l’enjeu. En Italie par exemple nous avons dupliqué le modèle espagnol sans distributeur avec des commerciaux en direct ; ça n’a pas fonctionné et nous avons arrêté le dispositif.

  1. Faire porter l’effort sur la logistique

Pour une société comme Aladine un des plus importants facteurs clé de succès est notre capacité à distribuer nos produits au bon moment et au bon endroit de manière simple. Notre capacité logistique, notre réactivité dans la gestion des stocks et le back-office dans la langue de notre interlocuteur ou en anglais pour certains pays est primordial.  La maîtrise de la logistique sortante ensuite est très importante car cela impacte fortement les coûts et peut être fatal. Il s’agit de respecter des normes de dimensionnement pour le packaging, d’être conforme aux normes Amazon par exemple. Pour ma part je considère que cet effort a été une vraie réussite pour notre petite société. Nos clients sont d’ailleurs très étonnés quand ils viennent voir notre entrepôt et l’équipe en charge.

  1. Etre ambitieux

Notre ambition c’est d’atteindre 6 M€ de CA grâce au développement international et j’y alloue beaucoup de mon temps, je passe 20 % de mon temps à l’étranger.

En fait l’international c’est beaucoup plus simple que ce l’on croit, ce qui compte c’est la volonté d’y aller !

Le réel frein pour beaucoup de patrons de PME c’est la crainte de ne pas maitriser suffisamment ce qui n’est pas en France. Certains ne parlent pas encore de langues étrangères et certains ne voient même pas l’Europe comme leur marché alors qu’en Europe les normes sont communes, c’est une énorme chance.

En fait, il faudrait bannir le mot export dans nos entreprises. On fait de l’international et la France fait partie de l’international.

C’est comme l’image du pêcheur, il peut continuer à pêcher là où il reste trois poissons, ou bien lancer sa ligne ailleurs, là où il y a des bancs entiers de poissons !