"Diriger en terre inconnue"

Sophie Zurquiyah est Présidente Directrice Générale de CGG qui est à la pointe des géosciences. Elle a accepté de partager avec ENAXION son expérience de dirigeante confrontée à un contexte de crise de la Covid 19. Elle nous livre ici un regard et des enseignements personnels qu’il nous semble intéressant de partager à notre tour avec tous les Dirigeants en Action.

Une crise cyclique doublée d’une crise sanitaire

Sophie : Dans les services parapétroliers nous sommes habitués aux cycles. Sans la minimiser, la crise du Covid n’est qu’un évènement qui ouvre un nouveau cycle pour nous. Ce n’est ni la première ni la dernière fois. Cela a entrainé une baisse du prix du baril et donc une baisse significative des investissements de nos clients avec comme conséquence une baisse soudaine de notre chiffre d’affaires de l’ordre de 30% en 2020. Cette chute brutale est cependant courante dans nos métiers et il n’est pas rare que l’activité reprenne de manière toute aussi brutale et rapide. A cet égard nous sommes peut-être privilégiés par rapport à d’autres industries car nous avons l’expérience de la gestion de chute de chiffre d’affaires de grande amplitude. En revanche, cette crise est différente car elle impacte aussi la santé des salariés. C’est une double crise car en plus de la préoccupation d’une situation financière dégradée se rajoute celle d’un contexte sanitaire qui peut avoir un impact sur nos employés, leurs familles et sur la continuité de nos opérations. Pour nous qui sommes une société très internationale avec des projets et des opérations sur terre et sur mer dans le monde entier, le fait de ne pas pouvoir se rendre au travail, de ne pas pouvoir voyager ou d’avoir des échanges réguliers avec des clients présents dans le monde est un vrai défi. Nous sommes obligés de réinventer notre mode opératoire,  notamment avec nos sous-traitants d’acquisition marine, sur des bateaux dans diverses parties du globe et les problèmes de passage des personnels aux frontières lorsqu’elles sont fermées.

Le marathon sur plus de 6 mois loin des bureaux, cela ne fonctionne pas

Sophie : De manière plus générale, notre mode de fonctionnement est typiquement un travail en mode projet pour nos clients avec du recueil de données, du traitement et du partage entre membres des équipes. Avec cette crise sanitaire, nous nous sommes retrouvés tout à coup à travailler en équipe en étant tous à distance à la maison.

Grâce à nos capacités informatiques et de télétravail, nous n’avons pas l’obligation d’être toujours présent ensemble, toutefois l’impact humain du télétravail – à distance- reste important. Nous travaillons en quelque sorte dans un mode dégradé dans lequel nous n’avons pas ces possibilités d’interaction informelle ou humaine que l’on a au bureau. Sur une durée courte de quelques mois cela peut fonctionner mais ce n’est pas optimal. Malheureusement cette dimension humaine est un peu oubliée par rapport à la santé des sociétés. Dire qu’on peut ou qu’on ne peut pas le faire est un peu trop simpliste. La question pour moi est davantage « est-ce qu’on peut le faire et est-ce que c’est souhaitable de le faire au regard des conséquences négatives importantes sur la dynamique de la société et de sa culture de l’entreprise ? ». J’ai pu constater une certaine déconnexion, un désengagement qui apparaît au bout de 6 mois avec certaines équipes qui ne sont pas revenues au bureau et cela me pose problème. Autant sur de courtes périodes ou en alternant présence et absence le télétravail peut fonctionner, autant le marathon sur plus de 6 mois loin des bureaux cela ne fonctionne pas.

Un besoin renforcé de coordination court terme

Sophie : Au cours de cette crise Covid 19 je n’ai pas fait de découvertes particulières sur le plan purement business. Certes j’ai pu observer et confirmer que les problématiques de nos clients peuvent être très différentes selon qu’ils sont américains ou européens, le contexte a peut-être accéléré les divergences. Cela se voit notamment sur des questions comme la transition énergétique qui sont très présentes chez nos clients européens mais beaucoup moins en Amérique du Nord mais rien de dramatiquement nouveau n’est apparu.

En revanche, en interne nous avons très vite compris que l’on devait faire des choses différemment en termes de communication internes pour recréer des interactions informelles dans le management mais également avec les équipes. Pour certains managers, le télétravail peut être plus compliqué que pour d’autres s’ils ont par exemple pour habitude avec leurs équipes de travailler de manière très informelle avec des contacts très fréquents et non structurés autour de réunions planifiées. Cette approche de « porte ouverte » est moins facile si l’on n’est pas au bureau même si cela peut fonctionner avec l’usage d’outils comme Teams. J’utilise ce moyen moi-même et cela permet une proximité informelle dans les relations de travail. Tout le monde cependant a rapidement compris la nécessité d’augmenter les interactions à distance avec les équipes. Pour ma part je suis passée à une fréquence hebdomadaire de réunion avec mon équipe pour parler de ce qui s’est produit sur la période, là où auparavant nous avions une réunion mensuelle.  Cela est nécessaire car lorsque l’on est dans un environnement très volatile il faut pouvoir se coordonner plus souvent, voire même deux fois par semaine. C’est également vrai pour s’assurer que tout le monde reste aligné et nous avons donc institué entre notre Top 50 et l’équipe de direction un forum pour expliquer ce qui se passe et les décisions que nous sommes conduits à prendre en matière par exemple de gel d’investissements.

Une stratégie confirmée malgré la crise Covid19

Sophie : La crise n’a pas eu d’impacts sur notre stratégie. Certes, nous sommes toujours en train de revoir la stratégie, surtout dans le contexte d’accélération de la transition énergétique par nos clients.  Nous devons nous assurer que l’on ne dérive pas et que les décisions qui ont été prises sont toujours valides. Ainsi les évènements actuels valident notre exercice stratégique 2018-2021 et notamment le premier pilier de cette stratégie « résilience à travers les cycles » qui s’avère même être aujourd’hui encore plus important que par le passé.

« Un bon chef fait moins d’erreurs que les autres »

Sophie :  Je ne vois pas de changement provoqué par la crise Covid19 dans mon rôle de dirigeant. Le contexte actuel de la société fait sans doute appel à des qualités managériales différentes de celles nécessaires en période de croissance. Il faut sans doute à présent se soucier davantage du bien être des employés et les priorités peuvent évoluer. Je dirais que le dirigeant doit être capable d’empathie mais aussi de pragmatisme. L’empathie ne doit pas empêcher la prise de décisions parfois difficiles et la rapidité d’exécution. Il faut, tout en écoutant les objections, être capable d’autorité pour trancher et prendre des décisions peu populaires. Je cherche toujours à respecter les idées de mes collaborateurs. Il peut y avoir parfois des différences d’appréciation entre nous sur la réalité d’une situation mais j’ai la prétention de penser qu’il y a une certaine forme de confiance chez eux dans mes capacités d’analyse et mes décisions après plusieurs années où mes intuitions et mes décisions se sont avérées bonnes. Comme j’ai coutume de le dire : « un bon chef fait moins d’erreurs que les autres » c’est la différence entre un bon et un mauvais chef.

Un sentiment de frustration

Sophie : Dans la période que nous vivons, le ressenti de chacun est important . Les sentiments sont prépondérants chez chacun d’entre nous. C’est difficile pour tout le monde mais cela peut prendre différents formats selon les personnes. Pour moi cela se traduit par de la frustration. Je ressens de la frustration car je trouve que le monde politique, d’une manière générale dans le monde, s’y prend mal.  Même si ce n’est pas facile, ce n’est pas si compliqué et il n’y avait pas lieu de procrastiner comme l’ont fait nos dirigeants. Mais je ressens aussi parfois du découragement parce que cela dure et qu’on n’en voit pas le bout. Dans les équipes aussi je vois des moments de découragement, mais qui peuvent être suivis de moments d’espoir. J’en parle avec eux en réunion one to one. J’échange sur leur ressenti et sur leur éventuel découragement.

Pour ma part j’essaye d’être la plus transparente possible avec mon équipe de direction sur mes ressentis, et ma satisfaction ou insatisfaction.

Le monde d’après sera un « back to normal » avec des ajustements

Sophie : J’entends beaucoup parler d’un « monde d’après » différent de ce que nous avons vécu. Pour ma part je ne crois pas un instant que l’après ne sera pas comme avant. L’après selon moi sera un « back to normal » mais avec une perspective différente sur le télétravail. J’étais quant à moi très ouverte au télétravail en raison de mon rôle très international partagé entre les USA et l’Europe et aussi parce que j’ai autour de moi des collaborateurs qui travaillent physiquement éloignés de notre siège social sans aucun problème. Mais je pense que d’autres vont changer de perspective sur cette façon de travailler. Cela fait beaucoup de sens pour nombre de mes pairs, nous voyageons beaucoup mais faire des voyages est une perte de temps inouïe. Je vais à l’avenir sans doute faire sauter quelques déplacements, des processus de fonctionnement vont être transformés. Je pense que cette crise va permettre de faire sauter certains verrous et mettre en évidence la maturité ou l’absence de maturité de certaines parties-prenantes sur ces sujets.

La transition énergétique plus impactante que la Covid 19

Sophie : La crise du Covid19 est intervenue à un moment pour l’entreprise où nous revoyons nos valeurs et notre raison d’être. Depuis mon arrivée il y a plusieurs années nous avons changé profondément la société. Nous sommes sortis de notre métier historique qui était l’acquisition sismique, nous étions 11 000 employés, aujourd’hui nous sommes 3900 personnes. Nous avons fortement repositionné la société et cela nous conduit aujourd’hui à nous interroger sur qui nous sommes et ce que nous voulons être. Depuis fin 2018, nous sommes engagés dans cette démarche de repositionnement stratégique. Ces changements sont à présent bien intégrés. Aujourd’hui, nous redéfinissons notre raison d’être avant le prochain exercice stratégique de 2021.  Est-ce que le Covid 19 va ajouter quelque chose à notre réflexion, je ne le pense pas. Ce qui sous-tend notre démarche c’est la transition énergétique. Nous avons des employés qui sont de plus en plus sensibles à ces sujets-là et notre raison d’être sera beaucoup plus écologique, plus verte. Nous voulons mettre en avant notre contribution à la planète qui est réelle car nous voulons aider nos clients à fournir de l’énergie peu chère de manière efficace. Certes il y a du dénigrement autour du pétrole et du gaz, mais nous sommes un élément important de la production énergétique et nous avons de surcroît un rôle à jouer dans la transition énergétique autour du gaz, mais également dans la séquestration de carbone.

La compréhension de la planète et de la terre est l’un de nos sujets. C’est ce que nous faisons. Ainsi, se positionner de cette manière va mieux résonner auprès des jeunes. Je n’y aurais pas pensé moi-même mais ils ont raison, je comprends pourquoi il faut le faire.

L’urgence d’assurer la pérennité et de préparer la suite

Sophie : Ce qui selon moi est le plus important et le plus décisif dans la période actuelle c’est comment assurer la pérennité de la société dans un contexte de consommation de cash importante et de baisse de chiffre d’affaires. Une question cruciale se pose : Comment utilise-t-on cette crise pour en tirer parti et sortir gagnant de cette épreuve. ? Nous avons des atouts dans cette crise, nous avons une véritable force de frappe. Nous sommes en capacité d’investir des millions dans la technologie, des bibliothèques de données avec des moyens financiers que n’ont pas nos concurrents. Cela nous permet de prendre des positions de marché sur lesquelles nous pouvons capitaliser dans le futur.

CGG

CGG figure parmi les 1ers fournisseurs mondiaux de services et de produits géophysiques destinés aux compagnies pétrolières et gazières. CGG propose une offre unique de technologies, de services et d’équipements conçus pour acquérir des données et des images extrêmement précises du sous-sol en vue de l’exploration, de la production et de l’optimisation de réservoirs de pétrole et de gaz.