Conflits au CODIR : transformer les tensions en levier de transformation.

Michel TAVERNIER , Associé Enaxion

conflits dans un codir Art Abstrait

Les conflits au sein des équipes de direction sont quasi inévitables et souvent révélateurs. Lorsque les tensions émergent, ce n’est pas qu’une simple question d’égos qui s’affrontent : ce sont aussi souvent les symptômes d’un système qui demande à être réajusté. Cela peut traduire un désalignement stratégique, une gouvernance floue, des rôles mal définis, des conflits de loyauté… 
Plutôt que de les fuir ou de les gérer en surface, les dirigeants ont tout intérêt à les traverser avec discernement et méthode. Car chaque conflit bien abordé recèle une opportunité de renforcer la cohésion, de clarifier les règles du jeu, et de réaligner le cap collectif. 

Chapitre 1 — Faire face

Dans chaque conflit, il y a souvent : 
une tension territoriale : “où s’arrête mon périmètre ?”, 
un doute identitaire : “suis-je encore utile ici ?”, 
une loyauté invisible : envers une culture passée, une ancienne direction, ou un collectif métier.

Et bien souvent, un silence collectif : celui des non-dits, des compromis mal assumés, ou encore des injonctions paradoxales (comme : “soyez agiles, mais dans le respect de notre feuille de route »

Ce n’est pas le conflit en soi qui est problématique, mais : 
sa chronicité : quand il devient récurrent, au point de s’ancrer dans les habitudes, 
sa toxicité : quand il attaque les personnes plutôt que les idées, 
son invisibilité : quand tout le monde fait “comme si de rien n’était” par peur de l’aggraver.

Face à cela, trois options s’offrent au dirigeant : 
Fuir : espérer que ça passe. Mais ce qui n’est pas traité s’installe durablement. 
Trancher : au risque de créer des gagnants et des perdants sans résoudre la cause racine. 
Transformer : faire du conflit un moment de vérité au service du projet collectif.

Objection fréquente : 

“Mais ces tensions sont normales, ce sont des personnalités fortes.” 


Notre point de vue : La passion n’excuse pas les débordements. Ce n’est pas l’intensité émotionnelle qui est nocive, mais l’absence de cadre partagé pour la contenir et de la méthode pour transformer en énergie constructive. Une équipe mature sait canaliser les désaccords dans un espace de saine confrontation.

Chapitre 2 — Intervenir en tant que dirigeant : ni juge, ni sauveur

Tout dirigeant peut être tenté d’intervenir pour “apaiser” ou “trancher”. Mais son rôle premier est ailleurs : il est le garant du cadre de collaboration, pas le juge des personnes ni le thérapeute des émotions. Il doit incarner une posture à la fois juste, ferme, et respectueuse des dynamiques collectives.

À faire
Rappeler les objectifs communs lorsque le débat s’égare dans les postures individuelles. 
Poser un cadre explicite : ce qui est acceptable (franche confrontation d’idées), ce qui ne l’est pas (attaque personnelle, insinuation). 
Offrir un espace de parole sécurisé : où chacun peut s’exprimer sans crainte de représailles ou de disqualification,  

Cas vécu  — L’échec de l’apéritif conciliant 
Dans une entreprise de services, un DG invite à prendre un verre après le travail deux de ses directeurs en conflit « pour détendre l’atmosphère ». Résultat : faux-semblant, crispations renforcées. L’initiative, bien intentionnée mais informelle et n’abordant pas les questions de fond génère des malentendus non régulés. Ce n’est qu’en instaurant un dialogue structuré, adossé à un cadre clair et accepté par les deux parties, que la situation commence à se dénouer.

Chapitre 3 — Conflits révélateurs

Des tensions persistantes, des réunions qui s’enveniment, des décisions bloquées, des membres qui se replient… ne sont pas seulement les conséquences de conflits interpersonnels. Ce sont souvent les symptômes visibles d’un désalignement plus profond au sein de l’équipe dirigeante.

Les personnes en conflit sont souvent les porte-voix involontaires d’un problème collectif plus vaste : 
des règles implicites qui ne sont plus partagées, 
des périmètres flous ou des zones grises de responsabilité, 
des divergences non arbitrées sur la stratégie ou les priorités, 
• des convictions métiers ou identités professionnelles qui cohabitent sans dialogue.

À force de vouloir gérer les conflits en surface — en recadrant, en temporisant, ou en renvoyant à l’émotionnel — on oublie que certains désaccords ont des racines profondes. Ce ne sont pas seulement des oppositions de personnes : ce sont des signaux d’un déséquilibre systémique à diagnostiquer et à traiter.

Cas vécu  —Le conflit qui empêche de se poser les bonnes questions 
Dans une ETI industrielle, deux membres du CoDir — le Directeur Commercial et la Directrice Supply Chain — s’opposent frontalement sur les délais de livraison. Chacun accuse l’autre d’être rigide ou imprévoyant. En réalité, la stratégie d’entreprise n’a pas été réajustée depuis trois ans, alors que le marché a fortement évolué. Le conflit, en apparence individuel, est en fait le révélateur d’un arbitrage stratégique manquant.

Cas vécu — Les conflits hérités 
Dans une grande entreprise de services, « la guerre froide » que se livre deux directeurs reflète en réalité les cicatrices d’une fusion mal intégrée. Malgré une façade d’unité, les équipes fonctionnent selon des logiques historiques distinctes. C’est en osant nommer l’histoire collective et en reconnaissant ces héritages qu’un dialogue sincère peut reprendre.

Chapitre 4 – Adopter une posture de dirigeant-médiateur

Un dirigeant-médiateur n’est pas un expert des techniques de gestion de conflit. Son rôle est plus fondamental : il veille à la qualité relationnelle de l’équipe, incarne une autorité structurante et sereine, et prend soin de la cohésion à long terme.

En pratique, cela suppose : 
• de mettre des mots sur les malaises, plutôt que de les laisser sourdre, 
• de parler en “je” — non pour imposer, mais pour modéliser une parole responsable et assumée (“Je vois que ça coince ici, je propose qu’on prenne un temps pour y revenir.”), 
• de « suspendre temporairement » l’agenda opérationnel, pour restaurer les conditions de coopération.

Objection fréquente : 


« Je ne suis pas formé à tout ça, je ne veux pas faire d’erreur. » 


Notre réponse : Vous n’avez pas besoin d’être un expert. Ce qu’on attend de vous, c’est d’assumer votre rôle de garant du cadre. Une posture sincère, humble et structurante est plus précieuse qu’une compétence technique mal incarnée.

Cas vécu — Clarifier les rôles pour dissoudre les tensions

Dans une PME familiale, une dirigeante fait face à une guerre larvée entre le DAF et le directeur industriel. En instaurant un temps de clarification des rôles et responsabilités, elle met à jour des déséquilibres d’organisation. Grâce à ce cadre explicité, les collaborateurs redéfinissent ensemble un fonctionnement plus fluide et respectueux, permettant de résorber le conflit sans arbitrage autoritaire.

Objection fréquente : 
« Si je commence à jouer les médiateurs, je vais devoir le faire tout le temps. » 
Notre réponse : C’est l’inverse. En posant des cadres structurants en amont, vous réduisez les occasions d’intervenir. Vous traitez les causes, pas les symptômes, et vous développez la maturité relationnelle de vos équipes.

Conclusion — Le conflit, révélateur des dynamiques collectives et levier de transformation

Les conflits au sein des équipes dirigeantes ne sont pas seulement des obstacles à surmonter : ils sont aussi les lieux où se joue l’avenir du collectif. Lorsqu’ils sont abordés avec lucidité et responsabilité, ils deviennent des catalyseurs d’intelligence partagée, des révélateurs de priorités oubliées, des laboratoires de maturité managériale.

Mais cela suppose au final un changement de regard plus profond : sortir de la logique de “la paix à tout prix”, qui infantilise les équipes et produit du faux consensus, pour entrer dans une culture où la confrontation devient un levier de clarté, de discernement et d’engagement.

Construire cette culture nécessite plus qu’une boîte à outils ou des techniques de médiation. Cela engage un travail sur les postures, les récits implicites de pouvoir, la tolérance à l’ambiguïté, la capacité à supporter les désaccords sans rupture.

Un conflit bien traversé n’est pas seulement un symptôme résolu — c’est un acte de refondation. Il oblige les dirigeants à revisiter leur rapport à l’autorité, à la vulnérabilité,

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