Chez Enaxion, nous aimons les belles rencontres. Nous avons l’honneur de rencontrer Laurent Piffaut de Dweet pour une discussion captivante sur son parcours entrepreneurial. Laurent vous raconte les moments clés de sa carrière et de sa vie personnelle qui l’ont conduit à la création de Dweet, une plateforme innovante mettant en relation les consultants et freelances du luxe et de la mode avec les entreprises du secteur.

Dweet est la plateforme dédiée à la mode et au luxe, qui met en relation les meilleurs professionnels avec les entreprises cherchant à recruter pour des postes en freelance ou en CDI.

Equipe: 20 personnes

Laurent Piffau, CEO et Co-Fondateur de Dweet

Laurent, peux-tu nous raconter ce qui t’a poussé à fonder Dweet

J’ai toujours eu le sentiment, au fond de moi, d’avoir l’âme d’un entrepreneur.  

J’ai eu une carrière assez « corporate », suffisamment riche pour retarder cette envie. Ce  n’est qu’après 40 ans que j’ai véritablement embrassé cette voie. Auparavant, mon rôle ressemblait plus à celui d’un intrapreneur : ouvrir des nouveaux marchés au sein de grandes structures, créer des bureaux, embaucher des équipes. Finalement, je travaillais comme un entrepreneur interne, dissimulé derrière une grande organisation et sans la liberté que j’ai aujourd’hui de me planter…ou de réussir !   

Quel était à l’époque ce sentiment d’être entrepreneur ? Comment le caractériserais-tu ?

C’était une envie très forte, mais contrecarrée par le sentiment que l’idée que j’avais n’était pas suffisamment viable pour me permettre de me lancer et de lâcher ce que j’avais déjà construit.  

Je ne suis pas issu d’une famille d’entrepreneurs : ma mère est médecin et mon père est magistrat. Ce sont des métiers qui sont très stables, avec peu de prise de risque.  

En revanche, j’ai eu quelques exemples inspirants autour de moi : un oncle qui s’est lancé dans le cinéma après avoir fait une école de commerce, ce qui paraissait complètement farfelu à l’époque.  
Et un ami de mes parents qui était un entrepreneur lyonnais : il vendait des panneaux de signalisation. A l’époque – j’avais 10 ans -, j’avais visité son usine à Lyon, il me parlait de ce qu’il faisait en Russie et en Chine. J’étais très admiratif. Ça me paraissait extrêmement exotique.  

Depuis ce jour, j’ai toujours rêvé d’avoir ma société. 

Et donc, au fond, quel a été le moment décisif où tu as su que tu allais te lancer dans l’aventure entrepreneuriale ?

J’ai été proche d’un burn-out professionnel. J’ai toujours eu des postes un peu de « défricheur », ce qui veut dire qu’il n’y avait pas de script. On me donnait un titre, on me disait « tiens, on a fait ça dans tel pays, on veut faire ça dans tel autre, vas-y ! », sans forcément avoir conscience des moyens nécessaires pour y arriver. Donc, j’ai toujours été en tension dans ma carrière jusqu’à ma dernière expérience chez Alexander McQueen, avec un poste de Directeur du Retail global. Alexander McQueen, c’est une marque qui était relativement petite, mais avec de très grandes ambitions. Et nous n’avions pas forcément les moyens de nos ambitions. Et donc dans ces cas-là, comme souvent, c’est l’humain qui doit compenser.  

Je sentais aussi que, pour ma femme, c’était très lourd car j’avais beaucoup de déplacements et des enfants en bas âge. Et là, je me suis dit :  « Si je mets autant d’énergie dans un projet qui est le mien, j’aurai un « chez-moi » professionnel et j’aurai le sentiment, même si je me fatigue à la tâche, de construire brique par brique une maison qui m’appartient plutôt que d’en louer une très grande à quelqu’un d’autre ». 

« Si je mets autant d’énergie dans un projet qui est le mien, j’aurai un « chez-moi » professionnel et j’aurai le sentiment, même si je me fatigue à la tâche, de construire brique par brique une maison qui m’appartient plutôt que d’en louer une très grande à quelqu’un d’autre ». 

Après une belle carrière dans le luxe (10 ans chez Chanel, 2 ans chez Dior, 18 mois chez Alexander McQueen), il a fallu effectivement cette situation extrême où je me suis senti « borderline » pour que je me rende à l’évidence, que j’arrête de me voiler la face et que je me dise : « Bon, maintenant, tu as 40 ans, c’est le moment de te lancer et de voir si tu as vraiment ça au fond de toi ». 

Et en même temps, tu as eu l’idée d’un projet parce qu’il ne suffit pas juste de se dire ça y est, c’est le bon moment… 

Oui, c’est sûr, en fait, j’ai eu assez tôt l’intuition qu’il y avait vraiment des choses à faire autour de l’humain dans le secteur de la mode et du luxe : ce sont des secteurs qui sont « clinquants » vus de l’extérieur. Mais quand on le vit de l’intérieur, on a le sentiment d’être derrière un décor de théâtre. Quand on est spectateur, on se dit tout est merveilleux et magique. Et quand on est de l’autre côté, on voit les grosses ficelles, et on voit que le métier d’acteur n’est pas si facile.  

Donc, à force d’être dans l’envers du décor, j’ai eu envie de passer de l’autre côté et de tenter moi-même d’être sur scène ! 

Mais je ne savais pas exactement pour quoi ni comment. J’ai monté ma société PWR (Power Retail) pour faire du conseil. Et je me suis vite rendu compte qu’il n’existait pas de plateforme pour permettre aux professionnels de la mode et du luxe de trouver du travail en tant que consultant. C’est l’idée originelle de Dweet. 

J’ai effectué une mission en tant que consultant pour Prada à Londres, qui m’a permis de rencontrer Eli, mon premier associé. On s’est lancé tous les deux, et nous avons été rapidement rejoints par Andreas.  

« Un de mes amis entrepreneurs m’a donné un conseil qui s’est avéré très précieux : s’associer plutôt que rester seul, pour être plus efficace et se préserver.»

Un de mes amis entrepreneurs m’a donné un conseil qui s’est avéré très précieux : s’associer plutôt que rester seul, pour être plus efficace et se préserver

Voilà ce qu’il m’a dit : « Au bout de 5 ans, je suis content, ça a vraiment bien marché. En revanche, je suis épuisé. Et si c’était à refaire, je me serais associé. Je serais arrivé au même niveau, mais au lieu de le faire en 5 ans, je l’aurais fait en 3 ans. Et surtout, je serais en bien meilleure santé ».  

Et c’est vrai que le fait de trouver des associés, ça m’a donné le courage de vraiment me lancer cette fois-ci et de faire ce qu’est devenu Dweet aujourd’hui. 

L‘idée originelle de Dweet, à la base, c’est donc de créer une plateforme pour mettre en relation les clients avec des professionnels freelance/consultants dans le domaine du luxe ?

Dweet, c’est un mix de :

Moi-même : en tant que consultant, je ne savais pas comment trouver des clients. Et quand j’étais en interne, j’avais besoin de recruter des talents. Mais je n’avais pas de plateforme où je pouvais trouver de manière fiable, rapide et transparente des professionnels. Les cabinets de chasseurs de tête, c’est très bien quand on a le bon réseau et qu’on a des bonnes relations avec eux, mais c’est globalement assez opaque et de qualité variable selon les pays et les interlocuteurs.

Mon beau-frère travaille, lui, à placer des consultants chez des grands groupes dans le photovoltaïque et le GSM, et il en vit très bien. Et donc, je me suis dit : « tiens, lui, il le fait à un niveau local. Si on arrive à le digitaliser et à créer une plateforme, je pourrais le faire justement dans un contexte qui me parle plus, à savoir l’international et faire une entreprise sans frontières ». Donc ça, ça a joué ! 

Et la rencontre avec Eli et Andreas.

Est-ce qu’on peut dire que Dweet est basé sur une stratégie de niche ? 

Au démarrage de Dweet, on avait une vocation universelle en termes de métiers. Mais on s’est rendu compte que, surtout quand on est petit, il faut se spécialiser sur certains types de rôles pour avoir plus de profondeur en termes de nombre de talents proposés. 

 Aujourd’hui, on a 60 000 personnes sur la plateforme, entre l’Angleterre et la France, même si nous nous sommes spécialisés sur certains secteurs au sein de la mode, notamment le retail, et puis certains métiers de la création dans les studios. Sur certains autres métiers, on a quelques personnes, mais on manque de profondeur.  

Nous avons arrêté nos jobs respectifs et créé Dweet à la toute fin 2019. Eli et moi avons débattu des premiers jalons de ce qui deviendra Dweet autour d’un plateau de sushis avant de se dire « banco, on se lance ». Et créer une entreprise en Angleterre, ça prend une demi-heure.  

Et on a vraiment commencé à démarcher nos premiers clients début 2020, juste avant le Covid et nous avons placé nos premiers consultants en décembre 2020. 

On comprend que c’est assez innovant et visionnaire comme façon d’aborder la relation de travail dans l’industrie du luxe. En quoi dirais-tu que Dweet façonne l’avenir de l’industrie du luxe  ?

J’ai eu l’intuition que tout va se fluidifier dans la relation employeur-employé et qu’en France aujourd’hui on est encore dans un système un peu vieux jeu du CDD et du CDI, qui est roi. Roi parce que ça nous permet – par exemple dacheter ou louer un appartement. Alors que, finalement, le CDI donne très peu de garanties : parfois, il vaut mieux un vrai CDD long terme qu’un CDI.

Dans certains pays, il n’y a plus cette distinction entre le CDI et le CDD, il y a un contrat de travail, avec des garde-fous, et cela donne plus de fluidité sur le marché du travail.

« Dans certains pays, il n’y a plus cette distinction entre le CDI et le CDD, il y a un contrat de travail, avec des garde-fous, et cela donne plus de fluidité sur le marché du travail. »

Si on fait l’analogie avec la téléphonie : on est passé de l’utilisation d’un téléphone dans un bureau de poste il y a 200 ans, à la portabilité des numéros de téléphone portable aujourd’hui. Je pense qu’on va arriver à un monde où les travailleurs seront « propriétaires de leur contrat de travail » : ils décideront de travailler chez les uns ou chez les autres. Il y aura beaucoup plus de fluidité : les travailleurs indépendants décideront pour combien de temps ils travailleront, avec qui et pour quelle rémunération. Ils n’accepteront ni un CDI ni un CDD, pour garder leur indépendance. 

On va aller vers une portabilité du contrat de travail.  

Avoir des plateformes de mise en relation contribue à cette flexibilité : les freelances peuvent se trouver du travail et les entreprises peuvent trouver certaines compétences disponibles à la demande puisque ces personnes n’auront plus l’ambition ni l’envie d’être recrutées en CDI. 

En résumé, je pense qu’on va vraiment vers ce type d’évolution : plus de fluidité, plus d’indépendance et plus de transparence. 

Aurais-tu une anecdote inspirante ou même un défi, que tu as rencontré, que tu souhaiterais nous partager et surtout nous dire comment tu l’as surmonté ? 

Le Covid est arrivé deux mois après le lancement de Dweet. Et voilà, nous on a plus de 40 ans, on a tout lâché avec Eli, on a chacun trois enfants et on vit à Londres, on n’a plus de revenu et on vient de lancer notre entreprise en plein Covid ! 

Ça nous a appris plusieurs choses.  

Déjà, il faut savoir s’adapter rapidement : au début, on était très orienté sur des métiers du « retail », et on s’est rendu compte que ce serait dangereux pour nous de n’être que sur le retail. Très vite, on s’est positionné sur les postes sièges (créatifs, studios, fonctions support). 

Donc, il a fallu pivoter comme on dit, et s’adapter à la situation globale.  Eli et moi, on avait la chance d’avoir des postes relativement confortables et en haut de la pyramide dans nos sociétés respectives avec des très bons salaires et, du jour au lendemain, on ne gagne rien. Donc effectivement, il a fallu rendre nos maisons et vivre dans des endroits plus petits, moins voyager et réduire son train de vie.  

Mais il y a un côté vraiment libérateur, finalement, là-dedans. On se rend compte qu’on peut le faire, qu’on peut trouver des solutions, qu’on arrive finalement à demander de l’aide autour de soi. C’est une grande leçon d’humilité, de résilience et on se rend compte qu’on a beaucoup plus de ressources qu’on ne le pense. 

Le fait d’avoir commencé par une carrière « corporate » réussie était un frein à l’entreprenariat : on se retrouve avec une position confortable (voiture avec chauffeur, voyages payés, packs d’actions, écoles payées pour les enfants…). Il y a bien sûr le stress du métier, mais à la fin du mois, je serai payé de toute façon. Donc, une fois qu’on décide de quitter tout ça, il faut accepter de tout perdre. Et là, il faut être bien accompagné. Je remercie ma femme et mes enfants, d’ailleurs, parce que je leur dois beaucoup. Parce que c’est un projet de famille aussi. Ils ont fait eux-mêmes preuve de résilience et d’adaptabilité. Depuis 4 ans, on a de cesse de réduire la taille de l’endroit où on vit par exemple. Mais, encore une fois, je pense que c’est libérateur.  

       « L’expérience entrepreneuriale apprend la frugalité. 

Cest une vraie école d’humilité . »

Si tu te projettes dans les 5 prochaines années, comment vois-tu l’évolution de Dweet avec tes associés  ? 

Avec mes associés, on rêve de concrétiser cette aventure humaine. On est une équipe d’une vingtaine de personnes aujourd’hui. Ce sont des personnes qui nous ont rejoint parce qu’elles croient en notre projet et qu’elles croient en nous. Notre souhait, au-delà de réussir pour nous, bien sûr, et notre famille, c’est aussi de réussir pour l’équipe.  

Mettre des gens au travail, regarder tous ces consultants qui font un petit bout de chemin, et parfois un plus long bout de chemin avec nous, c’est hyper intéressant. Avec Eli et Andréas, on prend parfois un peu de recul : voir notre équipe interagir, échanger des idées, créer. On se dit que c’est génial parce que, finalement, on a donné cette impulsion. 

Ensuite bien sûr, l’objectif c’est d’avoir des bureaux un peu plus structurés, dans plusieurs pays, développer certaines personnes, faire en sorte qu’ils prennent eux-mêmes plus de responsabilités, pourquoi pas en charge des régions, des équipes, des pays, etc…  

Mais déjà, pérenniser le business, c’est l’objet numéro un ! 

Finalement, une des choses les plus importantes, c’est la rencontre avec mes 2 associés, Eli et Andréas. Cela a été un accélérateur de la création de Dweet. C’est vraiment une aventure à trois. Et le fait qu’on s’entende toujours aussi bien quatre ans plus tard, c’est une grande réussite et une de mes fiertés !

Peux-tu justement nous raconter votre trio et vos complémentarités. Qu’est-ce qui fait cette alchimie entre vous  ? 

C’est par l’intermédiaire de nos femmes que nous nous sommes rencontrés, Eli et moi. Nous partagions des idées similaires dans des domaines différents : la finance et la tech pour Eli, et la mode pour moi. J’ai été convaincu par l’expérience d’Eli et son approche collaborative. Nous nous sommes associés (à parts égales 50-50), estimant que nous serions plus forts ensembles. 

Nous avons très vite identifié le besoin de compétences techniques pour notre plateforme digitale. Nous avons alors recruté Andreas, un jeune développeur talentueux avec une expertise en intelligence artificielle, qui avait déjà créé une entreprise à l’âge de17 ans. 

Initialement, Andreas détenait 20% des parts de Dweet, tandis qu’Eli et moi nous partagions les 80% restants. Cependant, en travaillant avec lui, nous avons décidé de rééquilibrer les parts à parts égales pour favoriser une ambiance de travail respectueuse et équitable. 

Ce partage a renforcé nos liens, et nous nous surnommons désormais les « Three Amigos ». Pour moi, cette aventure est avant tout une belle expérience humaine, au-delà de l’entrepreneuriat. 

Le succès de notre association réside dans la bienveillance mutuelle et le soutien que l’on s’apporte. On peut remarquer quand quelqu’un est fatigué et lui dire de prendre une pause. On se donne des conseils et on veille à ce que chacun tienne sur la durée. Cette attention réciproque est cruciale pour le bien-être de l’équipe et la réussite collective. 

Un autre conseil pour le bon fonctionnement entre associés, c’est d’avoir des réunions « gloves off », où chacun peut exprimer honnêtement ses pensées sans crainte de jugement 

Ces moments de franchise permettent d’aborder les problèmes de manière constructive, même si les critiques peuvent être difficiles à entendre. Cela favorise le respect mutuel et aide à éviter les non-dits qui pourraient nuire à l’entreprise.  

Et pour terminer, Laurent, quel conseil aurais-tu envie de donner à quelqu’un qui souhaite se lancer dans une aventure entrepreneuriale  ? 

Je conseillerais à ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat de ne pas attendre d’avoir une idée trop aboutie avant de démarrer. Je pense qu’il ne faut pas chercher à perfectionner son produit ou son offre avant de le lancer, car même les meilleures idées ne sont bonnes qu’à 80% au départ. Selon moi, il est essentiel de confronter son idée aux clients et à l’expérience réelle pour l’améliorer.  

Il est également très important de parler de son idée autour de soi. Beaucoup de gens craignent que leur idée soit volée, mais en réalité, discuter de son projet avec d’autres permet d’obtenir des retours gratuits et précieux. Ces discussions aident à défendre et à affiner l’idée, en répondant à des objections et en identifiant des aspects à améliorer, ce qui évite de potentiels échecs. 

Enfin, je mets en garde contre le risque de se lancer dans des projets coûteux sans avoir validé l’idée au préalable. Il vaut mieux parler de son idée, trouver quelques clients, réaliser une preuve de concept et valider le prototype avant de chercher à l’améliorer. Attendre d’avoir le produit ou service parfait peut empêcher de se lancer, et parfois, on finit par créer un produit qui ne correspond pas aux attentes du marché.